Mme George Pau-Langevin appelle l’attention de M. le ministre de l’économie et des finances sur les craintes que suscite le déploiement sur le territoire de 35 millions de nouveaux compteurs d’électricité « Linky », destinés à remplacer tous les anciens boîtiers d’ici 2021. Ces appareils mesurent et transmettent la consommation des Français directement au fournisseur d’électricité afin de permettre une facturation plus précise. Si le distributeur Enedis, filiale d’EDF, défend ses multiples avantages, de nombreux élus locaux s’y opposent et pointent une triple menace. D’abord, sur le plan sanitaire, il apparaît que la technologie utilisée transmette ces données par radiofréquences de 75 kilohertz, alors même que ces dernières ont été classées dans la catégorie « cancérogène possible » par le Centre international de recherche sur le cancer. Par ailleurs, la collecte et l’utilisation des données personnelles des consommateurs par ces appareils intelligents et communicants soulèvent des inquiétudes. En 2012, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a pointé que ces compteurs permettent de déduire des informations sur la vie privée des consommateurs, telles que le nombre de personnes dans le foyer, les heures de lever et de coucher, ou encore les périodes d’absences. Enfin, les gains que ces compteurs peuvent apporter aux usagers semblent eux-mêmes insuffisants. Dans son rapport annuel, la Cour des comptes a jugé le montant de l’opération, estimé à 5,7 milliards d’euros, « trop coûteux pour le consommateur ». En effet, la société Enedis, qui avance les frais d’installation, se remboursera dès 2021 en revoyant les factures à la hausse et dégagera ainsi une marge d’environ 500 millions d’euros. Au regard de ces légitimes préoccupations, elle lui demande comment l’Etat compte s’assurer que les données recueillies ne seront pas utilisées à des fins commerciales, et comment il entend répondre à la sommation de la Cour des comptes de rendre les compteurs « Linky » plus utiles et moins coûteux pour les usagers.
Réponse :
La directive de 2009 sur le marché intérieur de l’électricité fixe des objectifs ambitieux de déploiement de compteurs communicants, visant à équiper 80 % des foyers de tels dispositifs d’ici à 2020. À la suite d’une phase d’expérimentation portant sur le déploiement de 300 000 compteurs dans les régions de Tours et de Lyon, la commission de régulation de l’énergie (CRE) a procédé en 2011 à une évaluation favorable du dispositif. Les pouvoirs publics ont donc décidé de procéder à la généralisation du déploiement des compteurs communicants sur l’ensemble du territoire national avec le déploiement de 36 millions de compteurs prévu entre 2016 et 2021. Plus de 16 millions de compteurs étaient installés au 31 janvier 2019, et environ 30 000 compteurs sont installés chaque jour. Linky doit jouer un rôle central dans la maîtrise de la demande d’énergie. Plusieurs études ont notamment montré qu’avec un accompagnement et une connaissance précise de ses consommations, il est possible de réduire jusqu’à 8 % ses consommations d’électricité. Le ministre de la transition écologique et solidaire avait appelé l’ensemble des acteurs à se mobiliser tout particulièrement sur ce volet, par une meilleure communication et une meilleure information, notamment lors de la pose des compteurs. Enedis devra en particulier proposer un document explicatif type sur la maîtrise de l’énergie à remettre au moment de la pose du compteur. De nouvelles modalités d’accès aux données de consommation doivent être développées (internet, applications pour téléphone mobile…) afin de permettre un accès plus facile aux données pour les consommateurs qui le souhaitent. Concernant les effets sanitaires, plusieurs études ont été réalisées par l’agence nationale des fréquences (ANFR) et l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et montrent que les niveaux d’exposition sont très inférieurs aux normes réglementaires. Des campagnes de mesures de l’exposition aux ondes électromagnétiques ont en effet été menées en 2016 et 2017 par l’institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’ANFR sur des compteurs en laboratoire et installés dans des logements. Ces mesures ont montré que les compteurs produisent un champ électromagnétique faible et très inférieur aux valeurs limites réglementaires. De plus, le niveau d’exposition décroît très rapidement avec la distance au compteur ou le long du circuit électrique à l’intérieur d’une habitation. Les mesures en laboratoire réalisées par l’ANFR montrent que le champ magnétique à 30 cm du compteur Linky est du même ordre de grandeur que celui d’un chargeur d’ordinateur et près de trois fois inférieur à celui d’un écran TV. Le champ électrique à 30 cm du compteur Linky est similaire à celui des anciens compteurs, comparable à celui d’un écran TV et 10 fois moindre que celui d’une lampe fluorescente compacte. En juin 2017, l’Anses a rendu public son rapport d’expertise sur l’exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les compteurs communicants. Les principaux enseignements de cet avis sont : – que les niveaux d’exposition générés par les compteurs communicants sont très faibles par rapport aux valeurs réglementaires, et sont comparables à ceux émis par les dispositifs électriques ou électroniques domestiques (écrans TV, perceuse électrique sans fil…) ; – qu’il est peu probable que l’exposition aux ondes émises puisse engendrer des effets sanitaires à court ou long terme. Le ministère de la transition écologique et solidaire a néanmoins demandé à Enedis d’être particulièrement attentif aux personnes électrosensibles. Depuis le 6 juin, le dispositif national de surveillance et de mesure des ondes géré par l’ANFR a évolué et permet à tout citoyen de faire gratuitement mesurer son exposition associée à des objets communicants fixes comme le compteur Linky. L’Anses poursuivra ses études sur les évolutions à venir du compteur afin de continuer à mesurer ses impacts sur les utilisateurs. Concernant la protection des données, toutes les dispositions réglementaires sont en place pour garantir la confidentialité des données de tous les utilisateurs. L’accord du consommateur est ainsi une condition préalable à toute collecte par le gestionnaire de réseau ou à toute transmission à des tiers. Les recommandations en matière de protection des données collectées par les compteurs communicants adoptées par la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) le 20 avril 2017 ont en particulier été prises en compte, notamment dans le décret du 10 mai 2017 qui précise les modalités de mise à disposition des données de comptage à des tiers avec l’accord de l’usager concerné. L’article R. 341-5 du code de l’énergie précise ainsi que « chaque utilisateur des réseaux publics d’électricité a la libre disposition des données relatives à sa production ou à sa consommation enregistrées par les dispositifs de comptage ». Dans le cas des compteurs communicants, le deuxième alinéa de l’article R.341-21 du code de l’énergie précise que la courbe de charge est enregistrée localement dans les compteurs au pas horaire, sauf refus express du consommateur. Le troisième alinéa du même article indique que la collecte de cette courbe dans le système informatique du gestionnaire de réseau ne peut être effectuée qu’à la demande du consommateur (article R. 341-21 du code de l’énergie). Les conditions ne sont cependant pas toujours claires pour les consommateurs qui ne savent pas à quoi ils s’engagent. Il a été demandé, lors d’une réunion avec l’ensemble des parties prenantes, le 26 juin dernier, aux fournisseurs et à Enedis de revoir leur communication sur le sujet, afin de faire preuve de la plus grande transparence et de plus de pédagogie. De plus, en ce qui concerne la cybersécurité, la protection du système de gestion des données respecte le référentiel de l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) établi pour les compteurs communicants. L’analyse des cas d’incendie réalisée montre que le risque d’incendie est indépendant de la nature du compteur (électromécanique, compteur bleu, Linky). Sur les incendies signalés auprès d’Enedis en 2017, aucun n’implique le compteur lui-même selon les rapports des experts d’assurance. Le ministre de la transition écologique et solidaire a demandé à Enedis qu’il veille attentivement à la bonne réalisation des travaux d’installation pour limiter le risque d’incendie. Les cas évoqués dans la question devront être analysés de la même manière. Le remplacement du compteur est de la responsabilité du gestionnaire de réseau, dans le cadre de ses obligations réglementaires et contractuelles. Dans le cadre de son contrat unique ou de son contrat avec le gestionnaire de réseau, le client s’engage à permettre l’accès au compteur pour le gestionnaire de réseau. En tout état de cause, ce dernier doit procéder au remplacement du compteur en respectant notamment le droit de la propriété lorsque le compteur n’est pas situé sur l’espace public ou dans un endroit accessible. Lorsque le client refuse l’accès au compteur, les équipes de pose ne pourront donc pas procéder au remplacement du compteur. Toutefois, un client ayant refusé la pose d’un compteur communiquant ne pourra prétendre à bénéficier des avantages tarifaires qu’il propose et les prestations actuellement gratuites, comme les relevés de compteur par les agents, lui seront alors facturées, conformément au catalogue des prestations validé par la CRE.