Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs,
Je suis très heureuse d’être parmi vous à l’occasion de ce grand colloque sur les communs. Je tiens à saluer ses organisateurs que je connais bien et à les remercier pour leur invitation à laquelle je suis, comme de coutume, très heureuse d’avoir pu répondre favorablement. Je tiens également à remercier les intervenants pour les éclairages très précieux qu’ils nous ont apportés.
En tant qu’ancienne ministre des Outre-mer, la question des communs trouve pour moi à être appréhendée préférentiellement par celle des océans. C’est celle à laquelle j’ai été confrontée avec le plus d’acuité.
Les décideurs politiques ne se sont pas encore emparés de cette notion juridique comme ils devraient sans doute le faire. Cette notion apparaît, à la suite de vos exposés, comme pouvant être porteuse et peut-être décisive pour la protection de l’environnement. Néanmoins, la COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015 s’inscrivait non dans une perspective identique, mais dans une perspective similaire : celle de préserver notre planète des rapacités individuelles ou étatiques et de rappeler, au-delà des frontières et des intérêts nationaux, que l’humanité est confrontée à une menace sans précédent et qu’il est impérieux que les responsables politiques ne se représentent pas seulement la planète comme un espace à exploiter, mais comme un lieu à préserver.
Longtemps, le monde du progrès s’est couché de bonne heure sans se préoccuper des conséquences écologiques qu’il trouverait à son réveil.
Notre monde d’aujourd’hui est précisément ce monde du lendemain. Ce monde soumis aux conséquences de ce qu’a pu produire le génie de l’homme, mais également son infini orgueil. Notre monde commence déjà à payer le prix d’un développement économique sans mesure et d’une foi aveugle dans le progrès technique et scientifique.
Notre monde est déjà confronté aux conséquences que peuvent avoir toute action humaine lorsqu’elle ne s’adosse pas à une éthique de la responsabilité et à une vigilance inquiète quant à l’impact que peut avoir toute action présente sur les générations à venir.
Nul ne peut, dans le monde contemporain, s’estimer indifférent au sort de notre planète. Nul ne peut se considérer comme le seul spectateur de la catastrophe environnementale, humaine et morale qui risque de s’accomplir si nous n’y prenons garde.
Il est décisif que chacun se sente en responsabilité face à la situation qui nous occupe. Les risques écologiques que nous rencontrons collectivement ne doivent pas être imputés à un coupable anonyme, comme cela reste trop souvent le cas.
Et certes, ce qui vient de se passer aux USA avec l’élection d’un climato-sceptique nous pose un problème.
Invoquer la responsabilité collective serait préférable moralement et éthiquement, mais les négociations politiques, diplomatiques et économiques nous ont appris que s’il n’y avait pas de « mise en demeure » des Etats eux-mêmes, la responsabilité collective se transforme malheureusement bien vite en une bien piètre manière de se défausser de sa responsabilité individuelle ou de ses responsabilités nationales.
Blâmer les pays émergents, blâmer les pays en voie de développement, ou blâmer certaines grandes puissances pour mieux nous esquiver des responsabilités qui sont les nôtres n’est rien moins que de nous exonérer de nos fautes en agitant celles des autres (parabole de la paille et de la poutre).
Mais en tant que responsables politiques, cette réflexion et cette action sur le rappel de notre communauté de destin et de notre commune responsabilité à protéger la planète que nous partageons, ne peuvent avancer si elles vont à l’encontre du développement économique. Certains peuvent le déplorer, et je fais parti de ceux-là, mais il nous faut agir sans pouvoir attendre que la majorité des opinions publiques et des décideurs politiques se rallient aux idéaux de la décroissance. Les intentions peuvent être louables, mais dès que le bien-être matériel est menacé et le développement économique promis à l’enrayement les bonnes raisons de ne pas agir pour la planète deviennent bien plus parlantes que sa sauvegarde. Il faut donc, du moins dans le temps présent, pouvoir préserver la planète tout en favorisant le développement économique des nations. L’une n’ira pas sans l’autre. Dans les pays encore peu développés chacun peut avoir envie d’un confort standard, donc d’eau et d’électricité (En Guyane..).
L’enjeu est de créer les conditions de la croissance de demain. L’inventivité, la recherche, l’innovation sont d’immenses sources d’espoir. Ce n’est jamais la technologie en elle-même qui est condamnable, mais l’utilisation qu’en font les hommes. Il nous faut pour cela réorienter notre approche économique, technologique et environnementale.
La France possède la seconde surface mondiale, sur quatre océans, et le premier linéaire européen maritime avec 18 000 kms. L’économie maritime représente par ailleurs 900 000 emplois, notre pays compte plus de 550 ports, plus de 350 millions de tonnes de marchandises et plus de 55 000 km² de récifs coralliens et de lagons.
C’est en majeure partie grâce aux Outre-mer que la France possède le second domaine maritime mondial. C’est là une grande chance et une grande richesse, mais également une grande responsabilité pour notre pays : celle, tout en développant la croissance de la France, de protéger nos écosystèmes marins.
En tant que ministre des Outre-mer, ma responsabilité a consisté à agir en vue de concilier le développement économique et social de ces territoires et la préservation de leur environnement. Ces territoires ultramarins concentrent un patrimoine naturel exceptionnel, et représentent près de 80% de la biodiversité nationale.
Le Gouvernement auquel j’ai appartenu s’est résolument engagé dans la transition écologique et énergétique. Les Outre-mer ont pour vocation d’être en pointe de cette mutation. Nombreuses sont les initiatives de protection de l’environnement marin qui ont été renforcées dans le cadre du projet de loi relatif à la biodiversité.
Protéger nos ressources liées à la mer cela ne peut avoir pour corolaire de neutraliser ces ressources ou les mettre sous cloche. Il s’agit au contraire de réorienter notre modèle économique vers le développement durable. Nombreuses sont les opportunités d’une exploitation des richesses marines respectueuses de l’environnement, que cela soit en matière d’éco-tourisme, de pêche et d’aquaculture durable, d’énergies marines dont les bio-carburants à base d’algues, comme de recherche médicale et cosmétique.
Il est de notre intérêt comme de notre responsabilité à tous de promouvoir le développement d’activités maritimes durables, d’élaborer et de mettre en œuvre ce que l’on appelle la « croissance bleue ».
Les entreprises françaises et ultra-marines sont très dynamiques en la matière. La tâche du ministère des Outre-mer consiste à encourager et à soutenir ces initiatives. C’est dans cette perspective, par exemple, que nous avons mis en place le crédit d’impôt recherche renforcé à 50% dans les outre-mer. Ce crédit permet, par exemple, le développement à La Réunion de start-up visant à valoriser les micro-algues par la biotechnologie en vue de produire de l’énergie, du carburant ou de les exploiter à des fins alimentaires restées encore inédites.
Notre objectif est tout à la fois d’assurer l’autonomie énergétique de nos territoires d’Outre-mer tout en renforçant nos entreprises et en développant notre économie.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples concrets de perspectives qui s’offrent à nous en matière d’énergie marine.
A La Réunion, un projet pilote de centrale houlomotrice vise à produire des énergies renouvelables en tirant avantage de la houle et des courants. A la Martinique, le projet d’énergie thermique des mers « NEMO » utilise la différence de température entre les eaux froides des grands fonds et l’eau de surface pour produire de l’électricité. En Polynésie, le projet SWAC a vu le jour à Bora Bora et permet de climatiser des bâtiments grâce à l’eau froide prélevée en profondeur. Ces projets visent à atteindre l’objectif d’autonomie énergétique des territoires d’Outre-mer.
Le concept de « croissance bleue » vise à faire reconnaître que les mers et les océans sont des moteurs de l’économie, et offrent un potentiel considérable en matière d’innovation et de croissance. L’économie bleue représente plus de cinq millions d’emplois et près de 500 milliards de valeur ajoutée chaque année.
L’aquaculture, le tourisme côtier, les biotechnologies marines, les énergies marines renouvelables ou l’exploitation des grands fonds marins sont des secteurs porteurs et prometteurs. Les Outre-mer, qui représentent près de 97% du domaine maritime français, constituent un réservoir décisif de croissance bleue, mais également de développement économique pour notre pays dans son ensemble.
Je regrette de le dire, mais la croissance économique et la protection de l’environnement ne peuvent être opposées pied à pied, sans quoi l’économie l’emportera toujours sur l’environnement. Ce qu’il faut, dans l’état actuel de notre monde, c’est permettre à l’une et à l’autre de se renforcer mutuellement. Il ne doit pas s’agir de devoir choisir entre la prospérité et la préservation de nos océans et de notre planète. Il s’agit tout au contraire de permettre à l’innovation, à l’inventivité et à l’intelligence de nos chercheurs, de nos entrepreneurs et des décideurs que nous sommes, de penser notre développement économique à l’aune de nos responsabilités environnementales et écologiques et du monde que nous voulons laisser à nos enfants.
Non seulement notre modèle de croissance est condamné, mais c’est également la paix dans notre monde qui est en danger si nous n’y faisons rien.
Le péril environnemental, c’est la menace de conflits meurtriers pour accéder à l’eau ou à la nourriture. Le péril environnemental, ce sont des centaines de millions de réfugiés climatiques, c’est une démultiplication des sécheresses, des tsunamis, des cyclones, des inondations, des maladies et des épidémies.
Nous ne pouvons laisser les générations futures être les débiteurs des inconséquences de notre présent. La responsabilité qui nous incombe est une responsabilité envers les générations qui viendront après nous. Elle est également une responsabilité envers le monde lui-même.
Comment exiger des générations futures qu’elles soient à leur tour les gardiens du monde si nous nous comportons comme si nous voulions emporter avec nous notre planète de notre tombeau ?
La « morale minimale », comme l’écrivait Théodor Adorno, et la « décence commune », comme disait Orwell, requièrent de la sagesse et de l’humilité. Celles qui consistent à ne pas vouloir que notre monde ne meure avec nous.
Nous fondons le plus grand espoir sur la COP 22 pour trouver les moyens de mettre effectivement en œuvre l’accord conclu dans le cadre de la COP 21 pour préserver notre planète, notre bien commun.
Merci à vous de contribuer à ce travail de lucidité, de vigilance, de prospective et de solidarité à l’égard de notre planète. Merci surtout de donner des pistes intellectuelles, anthropologiques et juridiques pour faire avancer ce combat. Elles sont indispensables et seront décisives.
Merci à vous,