Mon intervention en vidéo ici
Madame la garde des sceaux, je souhaite appeler votre attention sur les conditions d’exercice du métier d’avocat face à la haine sur internet, car de plus en plus d’avocats sont victimes de dérapages inadmissibles sur les réseaux sociaux.
Dernièrement, Me Marjane Ghaem, spécialiste du droit des immigrés, inscrite au barreau de Mayotte, a fait l’objet d’attaques virulentes en ligne de la part de groupes et militants anti-immigration. En décembre 2018, elle avait été filmée à son insu alors qu’elle s’entretenait avec des habitants de la commune de Mamoudzou sur l’application d’une décision de justice relative à la démolition de nombreuses habitations construites sans l’accord du propriétaire. Une grande partie des personnes apparaissant sur cette vidéo étaient en situation irrégulière à Mayotte. La séquence a été largement partagée sur les réseaux sociaux, avec des commentaires injurieux, appelant même parfois au meurtre contre l’avocate, sur fond des tensions bien connues entre Mahorais et Comoriens. Me Ghaem a été accusée d’encourager, en exerçant son métier, l’immigration clandestine et la spoliation des terrains, et elle est devenue la cible de menaces. Les avocats du barreau de Mayotte ont manifesté leur solidarité avec leur consœur, choqués par ces manifestations intolérables de haine à son égard.
Au-delà de ce cas, les réseaux sociaux sont utilisés pour tenir des propos menaçants à l’encontre des personnes – qui vont jusqu’à l’appel au meurtre – ou des biens. Leur fonction initiale de partage est ainsi totalement détournée.
Madame la garde des sceaux, quelles réponses comptez-vous apporter face à ces agissements ? Quelles mesures faut-il prendre pour que de tels faits ne se reproduisent pas, que la sécurité des avocats soit assurée et que leur liberté d’exercer soit garantie ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame Pau-Langevin, vous le savez, la provocation à commettre des atteintes à l’intégrité physique d’une personne ou bien des destructions, des dégradations ou des détériorations dangereuses pour les personnes, de même que la provocation à la haine ou à la violence, sont réprimées par l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Afin de lutter contre ces discours de haine, le ministère de la justice mène depuis plusieurs années une politique pénale ferme. Ainsi ai-je signé, le 4 avril 2019, une circulaire relative à la lutte contre les discriminations, les propos et les comportements haineux, par laquelle j’ai souhaité appeler l’attention des procureurs de la République et des procureurs généraux sur le traitement particulier qu’exigent ces comportements intolérables pour notre République. J’y ai souligné la nécessité d’une vigilance particulière dans la conduite de l’action publique, du recueil de la plainte à la décision. J’y ai également rappelé que la procédure civile de référé peut être utilisée afin d’obtenir, à l’encontre des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à internet, des injonctions de retrait des contenus haineux ou de blocage de l’accès aux sites qui les véhiculent – c’est une voie que les parquets n’hésitent plus à utiliser.
Par ailleurs, les enjeux nouveaux soulevés par le développement d’internet ont conduit à l’adoption d’un arsenal législatif en la matière. Ainsi, la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 est venue encadrer la responsabilité pénale des prestataires techniques d’internet, fournisseurs d’accès et hébergeurs.
Une proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet sera prochainement débattue dans cet hémicycle. Elle imposera aux plateformes en ligne générant un trafic important de retirer les contenus manifestement illicites, notamment ceux comportant une incitation à la haine, dans un délai de vingt-quatre heures après notification. L’obligation de retrait rapide sera assortie de sanctions à l’encontre des opérateurs récalcitrants. Cette proposition de loi prévoit également de simplifier la procédure de signalement des contenus illicites par les internautes. Ces outils nous permettront de lutter plus efficacement contre les campagnes haineuses telles que celles que vous évoquez.
Elles sont particulièrement inacceptables lorsqu’elles visent des avocats, premiers défenseurs des libertés. Comme vous l’avez rappelé, Me Marjane Ghaem, avocate au barreau de Mayotte, a fait l’objet, à la suite d’une intervention télévisée, d’insultes sur les réseaux sociaux, étant accusée de « favoriser l’immigration comorienne ». J’ai immédiatement saisi le procureur général de Saint-Denis-de-La-Réunion. Le procureur de la République s’est entretenu avec la bâtonnière du barreau de Mayotte afin de l’assurer que le parquet était à la disposition de Me Ghaem pour recueillir sa plainte et mener toutes les investigations nécessaires. À ce jour, aucune plainte n’a été déposée, mais je tiens à réaffirmer ici devant vous qu’il ne peut y avoir d’impunité face à de tels agissements.
Mme George Pau-Langevin. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse.
Je connais la loi de 1881, mais l’exemple que j’ai cité nous montre qu’il est pratiquement impossible d’engager cette procédure très spécialisée à l’encontre d’un nombre incalculable de personnes. Il est donc nécessaire de renforcer les dispositions législatives dans ce domaine.
Par ailleurs, il importe de bien expliquer à nos concitoyens qu’il faut distinguer le travail de l’avocat et la cause qu’il défend. Assimiler un avocat à l’un ou l’autre de ses clients est un contre-sens absolu au regard du rôle qu’il joue dans notre pays.